Drame de Millas : la conductrice du car renvoyée devant le tribunal correctionnel


Episode 298 – Quatre ans après la terrible collision entre un autocar scolaire et un TER sur le passage à niveau n°25 de Millas, les juges en charge de l’instruction viennent d’ordonner le renvoi de la conductrice du car devant un tribunal correctionnel.


Le drame, qui s’était produit le 14 décembre 2017, avait ému la France entière en raison du nombre de jeunes victimes : six collégiens avaient été tués et dix-sept autres blessés dont certains très grièvement.

Photos 2531 : Accident de car scolaire sur le passage à niveau de Millas. Les opérations de relevage et de dégagement. (MAXPPP)

Dès le soir de la tragédie, les médias s’étaient emparés de cette affaire avec une indécence indigeste, en particulier les chaines d’infos en continu qui, alors même que les sapeurs-pompiers désincarcéraient encore les jeunes victimes sur le site, interviewaient chroniqueurs « experts » et éditorialistes « spécialisés » pour avancer d’hypothétiques théories dysfonctionnelles du passage à niveau. Et de fait, engager d’emblée la responsabilité de la SNCF. Je m’en étais offusqué dans un billet incisif du 28 décembre et titré « Halte à la désinformation : les passages à niveau français ne sont pas dangereux ».

De tels accidents collectifs nécessitent des dizaines d’expertises, des centaines d’heures d’auditions, des interactions entre de nombreuses personnes morales (Gendarmerie, Justice, Collectivités territoriales,…) et physiques (Avocats, témoins, …). Nulle personne sérieuse ne pouvait avancer une quelconque hypothèse le soir du drame. Forcément, et heureusement, le temps judiciaire n’est pas le temps médiatique. Toute personne sensée le sait, sauf certains journalistes visiblement, en particulier ceux en quête d’audimat morbide.

France 2 et Elise Lucet sombrent dans la médiocrité

Surfant sur la vague d’émotion suscitée par ce drame, France 2 s’est empressé de traiter du sujet des accidents de passages à niveau et ce même s’il ne traitait pas spécifiquement de la tragédie de Millas, mais s’en servait comme prétexte pour aborder sa thématique. Comme le laissait craindre le titre aguicheur « Passages à niveau : Passages à risque », Elise Lucet et son émission Envoyé spécial se sont fourvoyés dans un documentaire populiste et malhonnête.

Le BEA TT conclue à une faute du véhicule routier

Le Bureau d’Enquête sur les Accidents de Transport Terrestre (BEA TT) a mis un an et demi pour présenter son rapport d’enquête sur le sinistre de Millas. Pour mémoire, le BEA TT a été créé par la loi du 3 janvier 2002 suite à la catastrophe routière du Tunnel du Mont-Blanc en mars 1999. Même si le BEA TT dispose de larges prérogatives d’enquête, sa mission est d’ordre technique, pour analyser les circonstances des sinistres et ainsi apporter de recommandations,  et non d’ordre juridique pour établir des responsabilités.

Photos 2532 : Accident de car scolaire sur le passage à niveau de Millas. EFE/Robin Townsend

Dans le cadre de drame de Millas, le BEA TT conclue :

« À l’issue de ses investigations, le BEA-TT considère que :

  1. il n’y a pas eu de dysfonctionnement de la circulation ferroviaire, ni dans le déclenchement des équipements du PN 25 ;

  2. la cause directe de cet accident est le non-arrêt de l’autocar au passage à niveau malgré les feux rouges clignotants et la barrière qui l’imposaient ;

  3. le scénario le plus probable de cet accident est la non-perception par la conductrice de l’état fermé du passage à niveau malgré la signalisation en place. »

Pour autant, l’organisme relève que l’aménagement du site, et en particulier les conditions du « tourne-à-gauche » imposé au car sur cette partie du trajet, puisse expliquer, du moins en partie, cette mauvaise perception du danger par la conductrice du véhicule routier.

Une enquête longue et compliquée

Si le BEA TT apporte des conclusions d’ordre purement techniques, les enquêteurs judiciaires cherchent à établir des faits. Et forcément deux pistes sont envisagées : une faute de conduite de la conductrice du car ou un disfonctionnement du passage à niveau.

Coté conductrice, tout le monde s’accorde à témoigner du sérieux de cette dernière dans son exercice professionnel. Rigoureuse dans sa pratique, elle connaît de surcroit parfaitement son véhicule et son trajet qu’elle effectue jusqu’à seize fois par jour. Il est à noter toutefois que les horaires habituels du car font que la conductrice n’était jamais confrontée à un passage à niveau fermé. Or, le jour du drame, le train avait cinq à six de minutes de retard sur son horaire habituel et le car était lui aussi parti en retard du collège. L’accident est-il la conséquence de l’effet d’habitude ?.

La piste de l’usage du téléphone au volant semble avoir été rapidement écartée bien qu’elle ait reçu un SMS quelques minutes avant le drame, qu’elle n’aurait finalement pas consulté.

L’enquête s’est ensuite porté sur ses antécédents et en particulier son état psychique. Le drame s’est en effet produit le jour anniversaire du décès de son père. L’hypothèse d’une tentative de suicide, un temps envisagée, est rapidement écartée (Cf le crash de l’A320 de Germanwings en mars 2015). Pour autant, le décès du père reste un point important : car depuis sept ans, la conductrice du car est sous Zopiclone©, un médicament hypnotique généralement prescrit sur une courte période et qui peut altérer la conduite des véhicules. A l’époque, Me Jehanne Collard, avocate [décédée en avril 2021, NDLR] de plusieurs parties civiles, avait demandé un élargissement des responsabilités à l’encontre des médecins, médecin traitant et médecin du travail.

Concernant l’état du passage à niveau, les témoignages sont ici contradictoires. En effet, deux témoins directs, dans une voiture sur la voie opposée de l’autre coté du passage à niveau, affirment que les barrières étaient baissées. Un témoignage confirmé formellement par le conducteur du TER et sa stagiaire qui a validé 4 de ses 6 modules de formation. Le conducteur du TER exerce sur cette ligne depuis 2016. Certains témoignages des collégiens divergent et viennent contredire cette affirmation. Mais ces témoignages de jeunes, émotionnellement choqués, n’ont-ils pas pu être influencés par leur entourage ?

Photos 2533 : Accident de car scolaire sur le passage à niveau de Millas. (MAXPPP)

Le troublant documentaire de W9

Dans un documentaire de 90 mn titré « Catastrophe du car de Millas : que s’est-il vraiment passé ? » produit par C. Productions et daté de juin 2019, les auteurs Lisa Brunet et Laurent Frappa reviennent en détail sur les points précédents en donnant largement la parole à des familles de victimes, des journalistes et avocats de différentes parties. J’ai trouvé ce documentaire trop fondé sur l’émotionnel et donc trop populiste.

Il rapporte les témoignages d’habitués dont une jeune Camille qui affirme que le passage à niveau aurait dysfonctionné les jours précédents. Pour autant aucune trace auprès d’autorités. Constater de tels faits, s’ils étaient avérés, et ne les rapporter à aucune administration relèverait presque d’une coupable négligence.

Le documentaire affirme par ailleurs que le conducteur titulaire du TER ne se trouvait pas en cabine mais se serait mis à l’abri laissant ainsi seule sa stagiaire. Il s’appuie en cela sur le témoignage d’Eric, passager du train, qui lui affirme que le conducteur était derrière lui. Ce témoignage est-il fiable ?  D’autant qu’en de telles circonstances, en cas de choc inévitable, le machiniste a pour consigne d’enclencher le freinage d’urgence et de se mettre à l’abri, même si les  véhicules ferroviaires sont conçus pour résister structurellement à des collision avec des poids-lourds.

Dans la même séquence, les auteurs laissent supposer que la stagiaire aurait déclenché trop tardivement le freinage d’urgence. Eric, le passager, se questionne et laisse entendre que le freinage d’urgence n’aurait tout simplement pas été activé. De toute façon, à 80 Km/h, et vue la distance d’approche, freinage ou non, cela n’aurait rien changé à l’impact et ses conséquences.

Enfin le documentaire affirme que Jehanne Collard était proche de Philippe Mettoux, directeur juridique de la SNCF, pour tenter de discréditer l’impartialité de l’avocate en faveur de l’opérateur ferroviaire. La femme de loi, aujourd’hui disparue, si elle n’avait pas nié cette proximité du fait de ses nombreux dossiers antérieurs dans le domaine de la défense de victimes d’accidents collectifs, avait en revanche réaffirmé son objectivité dans ce dossier.

Un procès en avril

«Il ne fait aucun doute que l’inattention et l’imprudence de la conductrice sont à l’origine directe et certaine de l’accident : en ne prenant pas en compte le caractère fermé du passage à niveau et en forçant, au volant de son car, la demi-barrière fermée dudit passage à niveau, elle a précipité la percussion de son car par un train qui circulait régulièrement», écrivent les juges chargés de l’instruction dans leurs conclusions.

Les juges d’instruction n’ont pas retenu le caractère intentionnel et un non-lieu a été prononcé en ce qui concerne les chefs de « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » et « violation délibérée d’une obligation de sécurité imposée par la loi ». L’audience devrait se tenir en avril devant le tribunal de Marseille.

Emmanuel

La conductrice de l’autocar bénéficie de la présomption d’innocence. 

Un commentaire

  1. Il y a deux victimes dont on parle bien peu. Ce sont le conducteur du train et sa stagiaire. Ils doivent être traumatisés à vie de ce terrible accident bien qu’à priori ils n’en soient pas responsables.

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