Épisode 146 – Neuf mois après l’accident d’autocar mortel survenu sur un passage à niveau (PN dans la suite du texte) à Millas, les premiers rapports d’expertises accablent la conductrice du car. Les familles des victimes demandent un élargissement des responsabilités.
Le drame s’était déroulé le 14 décembre dernier. Peu après 16h, un autobus de transport scolaire avait été percuté par un TER sur le passage à niveau n°25 de la ligne de Perpignan à Villefranche, sur la commune de Millas. Sous l’impact, le car Irisbus Récréo avait été coupé en deux. Le bilan est lourd puisqu’on dénombre six morts et douze blessés graves, dont la conductrice, dans le véhicule routier. Les vingt-deux passagers du TER sont indemnes, le train n’ayant pas déraillé.
Photo 954 : les secours engagés sur la catastrophe de Millas. Source : Maxppp / Clementz Michel
Le soir-même, les médias télévisuels charognards en quête d’audimat diffusaient en boucle les images de la désincarcération, questionnaient les équipes de secours et les autorités de façon chronophage, interrogeaient avec indécence les familles éplorées et relayaient les théories les plus fantaisistes quant à un éventuel dysfonctionnement du passage à niveau, tel des tribunaux inquisiteurs contre une SNCF forcément responsable. Forcément ! Je m’étais d’ailleurs indigné de ce traitement médiatique médiocre et partial dans un billet titré « Halte à la désinformation : les passages à niveau français ne sont pas dangereux ». Cet article incisif à l’égard de la caste journalistique, mais aussi de certains internautes en mal de notoriété, avait d’ailleurs suscité beaucoup de réactions et de partages à l’époque.
Des expertises accablantes pour la conductrice
Depuis l’accident, la conductrice du car a toujours affirmé que la barrière du PN était levée et les signaux lumineux éteints, écartant toute faute de sa part et incriminant un PN prétendument dysfonctionnel. Une version mise à mal rapidement par de nombreux témoignages : rescapés du bus, conducteurs du TER – ils étaient deux en cabine – et autres automobilistes présents au moment du drame. Les familles de victimes ont majoritairement apporté leur soutien à la conductrice. L’émotion est rarement de bon conseil.
Une honteuse pétition avait même été lancée et avait recueilli, le 28 décembre, 50 000 signatures pour soutenir la conductrice. Bernard Aubin avait publié un excellent article titré « Millas : la pétition de la honte» sur le blog « le hérisson du rail » pour dénoncer cette pétition malsaine et immonde :
« En France, au 21ème siècle, 50 000 personnes viennent de désigner un coupable en dehors de tout procès. Inquiétant ! » conclue l’auteur avec une légitime préoccupation.
Pour mémoire, une reconstitution du drame le 19 décembre a abouti, dès le lendemain, à une mise en examen de la conductrice pour homicides et blessures involontaires par imprudence. Plusieurs expertises ont été diligentées : la première porte sur la rame ferroviaire et le fonctionnement du PN, en particulier la détection, la seconde sur les restes de la barrière impliquée et la troisième concerne l’autocar. Cette dernière, qui écarte toute cause d’origine mécanique ou météorologique, est accablante pour la conductrice. En effet les experts considèrent que « l’origine de cet accident provient d’un freinage tardif de la conductrice de l’autocar » et qu’elle a « percuté la barrière au passage à niveau ».
Les experts décrivent ainsi le déroulé du drame : « Après avoir accéléré jusqu’à 12 km/h, la conductrice de l’autocar (…) se rend compte de la présence d’un obstacle (…) et elle écrase la pédale de frein. (…) Mais lorsqu’elle décide de freiner, l’autocar (…) est déjà trop près de la barrière fermée et elle ne réussit pas à stopper l’autocar avant d’atteindre la voie ferrée. Sur sa lancée, bien qu’elle soit en freinage, elle percute la barrière du passage à niveau qui se plie » rapporte ainsi le Figaro. Il est d’ailleurs à noter que le site avait été récemment réaménagé comme en témoigne la photo ci-dessous.
Photo 1008 : enquêteurs sur le site de la catastrophe le 19 décembre 2017. Source Code AFP
Les analyses de la rame et du fonctionnement du PN n’ont détecté aucune anomalie et tendent donc à écarter toute responsabilité de la SNCF. Les expertises portant sur la barrière impliquée n’ont pas donné de résultat probant du fait de plusieurs endommagements antérieurs.
Des contre-expertises demandées
Me Codognès, avocat de la conductrice, conteste les conclusions de ces premiers rapports. Sur France bleu, il explique :
« À 12 km/h, quand vous freinez puissamment, le véhicule s’arrête, il ne traverse pas une voie ferrée, poursuit l’avocat. Nous allons analyser ce rapport, nous allons demander des compléments d’information, des contre-expertises, une remise en situation. On fera rouler le bus à 12 km/h, on freinera, on verra si 15 mètres après, il circule encore. Douze kilomètres à l’heure, c’est moins vite que quelqu’un qui court ! ». Il demande des contre-expertises, une mise en situation et des compléments d’informations.
Des expertises médicales souhaitées
Au moment des faits, la conductrice était sous traitement médical. Car l’accident est survenu le jour anniversaire du décès du père de la conductrice. Et cette dernière est sous traitements consécutivement à cette disparition. En particulier des somnifères.
Me Jehanne Collard, avocate des parties civiles jointe par France info souscrit aux premières conclusions mettant en cause la conductrice mais tend à élargir les responsabilités en direction des médecins qui traitaient la patiente. Au premier rang desquels son médecin traitant qui, selon elle, « a prescrit un traitement aux effets secondaires graves pour des personnes qui conduisent ». Ainsi que le médecin du travail « qui était informé et qui l’a déclarée apte à la conduite ».
Le rôle des médecins
Cette approche du dossier n’est pas sans rappeler la catastrophe de la Germanwings, survenue le 24 mars 2015. Un pilote dépressif, qui s’était enfermé seul dans le poste de pilotage, avait entraîné la mort de 144 passagers et cinq autres membres d’équipage dans son opération destructrice. Les psychologues ont d’ailleurs considéré cet acte comme une tuerie de masse et non comme le suicide d’un dépressif. Il avait crashé l’avion dans les Alpes françaises. L’enquête avait alors démontré l’état de fragilité psychiatrique du pilote et des traitements supposément incompatibles avec la profession du patient. La responsabilité des médecins avaient, à l’époque, été pointée du doigt. Par la suite, il avait été découvert au domicile du pilote des arrêts de travail et des certificats d’incapacité de travail déchirés. Au delà, au plan du droit, se posait la problématique du secret médical face à l’intérêt général.
Dans le cas de Millas, il n’y a semble-t-il pas d’acte volontaire et délibéré de la conductrice. Mais il est légitime de se questionner sur sa santé et ses traitements qui auraient pu affecter ses fonctions cognitives voire diminuer ses capacités à la conduite. Car, jusqu’alors seuls sont mentionnés des somnifères. De nombreux autres médicaments pour d’autres pathologies peuvent être incompatibles avec la conduite d’un véhicule. Tous ces médicaments comportent sur leur emballage un pictogramme à trois niveaux d’information. La conductrice elle-même ne pouvait donc ignorer ces restrictions. Rappelons en effet que le médecin n’a qu’une obligation de conseil. C’est le patient qui reste maitre de toute décision. Le secret de la consultation ne permet ni d’affirmer ni d’infirmer que le médecin traitant n’a pas correctement conseillé sa patiente ou n’a pas proposé un arrêt de travail. Et le secret médical ne prévoit d’être levé que dans quelques circonstances prévues par la loi, notamment en cas de sévices ou de maltraitance, notamment sur des personnes vulnérables.
Médicaments impliqués dans les accidents
Si à l’avenir un tribunal venait à considérer que la conductrice était responsable de l’accident mais que sa responsabilité était atténuée par le volet santé de la mise en cause, comme le suggère l’avocate des parties civiles, une telle décision poserait alors un problème sociétal plus large : doit-on mettre en arrêt de travail tous les patients ayant au moins un médicament à conséquence à risque pour la conduite de véhicule ? Peut-on interdire la conduite de tout engin motorisé à ces mêmes patients ?
Car une publication de l’Ansm datée du 17 novembre 2010 indique que 3% des accidents de la route ont pour cause les médicaments. Elle s’appuie sur une étude menée entre 2005 et 2008 portant sur 70 000 conducteurs impliqués dans un sinistre.
Et de préciser « ce sont essentiellement des anxiolytiques, des hypnotiques, des antiépileptiques et des antidépresseurs. Ceci confirme qu’il est indispensable que les patients, amenés à prendre ce type de médicaments, respectent les messages de bon usage qui accompagnent les pictogrammes correspondants. ».
Sur la base des 61 224 accidents corporels recensés en 2017 par la Sécurité routière, 3% cela représente 1836 accidents corporels routiers ayant pour cause les médicaments.
Allons plus loin dans cette approche. Les conducteurs sous traitements ne seraient alors plus seuls à être concernés. En effet, une publication du Figaro santé met en exergue les mêmes risques pour les piétons. Une étude portant sur 6 500 piétons entre juillet 2005 et décembre 2011 met en avant 48 classes de médicaments impliqués dans ces sinistres « Les plus communs étaient: les benzodiazépines (utilisés principalement contre l’anxiété comme le Lexomil) les antihistaminiques (dont les traitements contre les allergies) et anti-inflammatoires ». Mais pas seulement : « (…) Ainsi, les alpha-bloquant entraînent une vasodilatation et donc une plus faible pression du sang, avec des symptômes potentiels comme: de l’asthénie (perte de force), des vertiges, de la fatigue, etc.», notent les auteurs de l’étude. ». Doit-on également interdire à ces patients de marcher sur la voie publique ?
Enfin, les préfets n’ont-ils pas aussi, à travers les visites médicales agréées, un droit de regard périodique sur les salariés usant d’un véhicule professionnel ? Les chauffeurs de poids-lourds et de transports en commun, mais aussi d’ambulances par exemple y sont soumis périodiquement pour conserver leurs autorisations.
Les médecins seront peut-être incriminés à l’avenir. Pour autant, la conductrice du car et patiente ne pouvait pas ignorer les impacts de son traitement. N’est-elle pas la première responsable du non respect des avertissements portés sur les emballages et les notices ? Son état psychologique lui permettait-il d’en mesurer l’impact ? L’employeur lui-même connaissait-il la situation de son employée qui par ailleurs semblait être appréciée de ce dernier et des familles ?
L’enquête se poursuit. De nouvelles expertises devraient permettre de mieux cerner les circonstances du drame.
Emmanuel