Episode 192 – 90 000 civils et 16 000 prisonniers de guerre ont perdu la vie lors de la construction de cette ligne de chemin de fer, d’où son surnom de « Voie ferrée de la mort ». Reliant Bangkok en Thaïlande à Rangoun en Birmanie, la ligne Siam-Birmanie est plus connue pour son pont qui traverse la rivière Kwaï.
Je vous propose aujourd’hui une petite escapade en Thaïlande et plus précisément près de Kanchanaburi, capitale de la province éponyme dans le centre du pays à 125 kilomètres de Bangkok, région frontalière de la Birmanie. Cette ligne Nord-Sud à voie métrique de 415 kilomètres, plus connue sous le nom de « Ligne Siam-Birmanie » a été construite par près de 180 000 civils et 60 000 prisonniers de guerre, essentiellement occidentaux, soumis aux travaux forcés par l’Empire japonais pendant la Seconde guerre mondiale. Les conditions de détention inhumaines accompagnées de tortures, la pénibilité des tâches imposées dans un environnement sanitaire exécrable et les attaques alliées, dont la Résistance Taï (Résistance intérieure puisque la Thaïlande était alliée de l’Empire du Soleil levant), ont décimé la moitié de cette population civile et un tiers des prisonniers internés. Cette hécatombe explique l’appellation mémorielle de « Voie ferrée de la mort » ( parfois aussi « Chemin de fer de la mort ») encore très usitée de nos jours, notamment dans le secteur économique du tourisme.
Photo 1349 : Le Pont de la rivière Kwaï en Thaïlande. Source : letraindemanu.fr
Un pont, des hommes et des œuvres
Cette ligne de chemin de fer et les faits historiques corollaires sont devenus célèbres en 1952 à travers le roman de Pierre Boulle « Le Pont de la rivière Kwaï », œuvre adaptée et portée à l’écran par David Lean cinq ans plus tard dans le film éponyme. Sir Alec Guinness y incarne avec brio le colonel Nicholson, officier britannique [il reçut en 1958 un Oscar et un Golden Globe pour ce rôle], face à un intransigeant colonel Saïto interprété fort brillamment par Sessu Hayakama. Si ces œuvres, littéraire et cinématographique, s’inspirent de faits réels avérés, elles n’en restent pas moins des œuvres romancées parfois éloignées de la réalité historique, notamment sur le plan ferroviaire. Même si le train n’est pas le sujet principal dans ce long-métrage (contrairement à d’autres productions comme Le dernier train du Katanga, Runaway Train, Piège à grande vitesse ou plus récemment Unstoppable) dans lequel prédomine la confrontation humaine dans un contexte de captivité guerrière, la construction de ce pont ferroviaire en fait un film de référence pour les cinéferroviphiles.
Music+Cinema: The Bridge on the River Kwai (Finale)- Le Pont de la rivière Kwaï
Beaucoup moins connu, le film « Chungkai, le camp des survivants », réalisé en 2001 par David L. Cunningham et basé sur les mémoires du pasteur et capitaine britannique Ernest Gordon, retrace avec plus d’exactitude historique la réalité de l’internement de « The Argyll and Sutherland Highlanders (Princess Louise’s) », régiment d’infanterie britannique qui a vraiment participé à la construction de la ligne, initialement à visée stratégique pour acheminer du matériel de guerre vers la Birmanie, à partir de 1942. Ce camp restera actif jusqu’à sa libération après la capitulation de l’Empire en août 1945 [signée le 2 septembre]. Un film qui fut interdit aux moins de 16 ans à sa sortie en salles en raison du réalisme crû de certaines scènes.
Scène épique du colonel. Extrait VF du film Le camp des survivant Shangkai
Cette période a également été relatée avec tout autant de véracité dans l’ouvrage autobiographique d’Eric Lomax, ancien officier le l’armée britannique, sobrement titré « The Railway Man » (1995) et adapté à l’écran par Jonathan Teplitzky en 2013 sous le titre français « Les Voies du destin ». Le film évoque la réconciliation entre le gradé britannique brimé (incarné par Collin First et Jeremy Irvine dans le rôle de Éric Lomax jeune ) et son tortionnaire japonais Takashi Nagase (interprété par Hiroyuki Sanada et Tanrho Ishida), rencontre initiée par Patti (jouée par Nicole Kidman), seconde épouse de l’officier anglais victime de troubles du comportement post-traumatiques et d’idées suicidaires [Voir bande-annonce ci-dessous publiée sur le site Euro-News].
Si le premier est décédé en 2012 pendant le tournage du film, le second s’est engagé comme prêtre bouddhiste à la fin du conflit. Cet officier nippon dans le remord, disparu en 2011, a effectué plus de cent missions expiatoires sur la rivière Kwaï en repentir des sévices infligés à ses prisonniers. Une expiation qui n’est pas sans rappeler Mochitsura Hashimoto, commandant du sous-marin I-58 japonais ayant coulé l’USS Indianapolis (qui venait d’acheminer les bombes atomiques Fat Man et Little Boy qui ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki) et devenu prêtre shintoïste après le conflit (le naufrage ayant fait 880 victimes).
« The Railway Man » ou le pont de la rivière Kwaï façon stress post-traumatique cinema
Un pont métallique en exploitation régulière
S’il y a bien eu un pont en bois pour traverser la rivière Kwaï Yai en 1943, ce fut un pont provisoire le temps de construire le pont métallique. Des restes de cet ouvrage en bois sont conservés dans le musée de la Seconde guerre mondiale dans la ville de Kanchaburi. Le pont métallique comporte onze travées posées sur des piles en pierre. Rien à voir donc avec le pont construit pour le film de David Lean (reproduit par Faller sous le référence B-568) qui fut d’ailleurs tourné au… Sri-Lanka. Le pont métallique a été l’objet de plusieurs bombardements dont un qui lui fut fatal. Après le conflit, le pont a été reconstruit par les Japonais au titre des dommages de guerre.
Photo 1350 : Le Pont de la rivière Kwaï en Thaïlande. Source : letraindemanu.fr
Ce tronçon de ligne est parcouru par un train touristique (Photo 1405 ci-dessous). La rame, aux couleurs arc-en-ciel, comprend deux locotracteurs diesel encadrant six baladeuses [selon un principe semblable au train touristique PGVS en Gironde, voir la vidéo] et qui fait l’aller-retour sur le pont en une quinzaine de minutes.
Photo 1351 : Le Pont de la rivière Kwaï en Thaïlande. Source : letraindemanu.fr
Les ferroviphiles, toujours curieux, préféreront sans doute s’immerger dans la vie thaïlandaise en voyageant à bord d’un train en exploitation régulière sur le réseau du SRT, State Railway of Thaïland. Le confort y est un peu spartiate dans des rapides à traction diésel (le parc roulant compte des voitures de troisième classe) et dont la ponctualité est parfois aléatoire.
Photo 1352 : une motrice diésel UM12C Général Electric du SRT en gare de Kanchanaburi en novembre 2019. Source : letraindemanu.fr
Photo 1353 : une voiture voyageurs du SRT 3e classe en gare de Kanchanaburi en novembre 2019. Source : letraindemanu.fr
La motrice photographiée semble être une UM12 C de Général Electric. Cette locomotive de type CC a une puissance de 1320 cv pour une vitesse maxi de 103 km/h. Son poids est de 75 T en ordre de marche. Ce modèle a principalement été exporté aux Philippines dans les années 50 et en Thaïlande au milieu des années 60.
Le pont surplombe la rivière KwaÏ avec ses house baots et ses pirogues.
Photo 1354 : Train touristique du pont de la rivière Kwaï. Source : letraindemanu.fr
Je vous propose de conclure cette escapade dépaysante sur quelques clichés thaïlandais dans cette région.
Photos 1406 à 1408 : Le Pont de la rivière Kwaï et les environs de Kanchanaburi, Thaïlande, en novembre 2019. Source : letraindemanu sur Canalblog.
Et je rassure nos lecteurs à l’âme écologiste concernant le singe entouré de sacs plastiques roses : Nos ancêtres cousins sont particulièrement friands de … sirop de grenadine.
Emmanuel
Reportage photos : Joy Nicolau-Bergeret et Emmanuel Khamis